L’eau, l’eau des marais!
Immobile, fétide, obscure. Langues végétales, bras et doigts de bois, trempent dans cette soupe immonde. Des créatures effrayantes, gluantes, ont choisi ce lieu et le hantent. Les gros mangent les petits et les petits mangent les gros. Ici la peur habite tout. Les corps des proies et prédateurs, animés, inanimés, finissent dans la même vase nauséabonde. Le marais digère, rote et flatule. Lentement, longuement, inexorablement. Ogresse avide, jamais repue.
Assis en tailleur, je descends dans ces profondeurs humides et froides. La peur m’envahit et je l’accueille d’un sourire car je la connais bien. J’active mes branchies imaginaires. Ne faire aucun mouvement. descendre, descendre dans l’eau des marais. Respirer, respirer. Mes fesses se posent et s’enfoncent dans les sédiments qui se diffusent autour de moi. J’ose ouvrir les yeux. Tout est verdâtre, mêlé de marron, je ne distingue rien. Mes branchies filtrent les matières: os décomposés, chairs pourrissantes, filaments organiques. Je siège parmi la multitude des cadavres. Ne faire aucun mouvement, respirer, respirer.
Peu à peu le nuage malsain se dissipe. ma vision s’éclaircit. Ne faire aucun mouvement, respirer, respirer.Les matières ont précipité, le calme s’installe autour de moi. Quel univers s’ouvre à mes yeux! Dans cette eau immobile, tout n’est que mouvement. Partout des bulles claires et limpides rejoignent la surface. Un serpent se fraie un passage dans une forêt d’algues. Des sangsues jouent à colin-maillard. Une moule d’eau douce baille aux corneilles.
Ici se prépare, ici se cuisine la fécondité du monde. Ici se trouve le refuge de nos expériences, qui à la queue-leu-leu, viennent se faire digérer, enrichir la vase de nos dépôts intérieurs. Ici prennent racine les nénuphars et les lotus qui illuminent l’espace de la surface. Ici naissent les bourgeons des paradis. Ici je n’ai plus peur d’aller promener ma conscience. Au delà des vues, en deçà des vues, le marais-marâtre se confond avec la mère de tous les êtres. Elle est son reflet le plus profond
Mes mains se joignent devant mon cœur, une source claire y jaillit, riche de nutriments, brillante d’oxygène, drainée par la gratitude. A l’horizon lointain, une cascade se déverse sur la Terre des Humains. Des enfants s’y baignent de rires.