Antistymphalle

J’ai neuf ou dix ans,peut-être un peu plus. Nous habitons en Ardèche. Notre logement donne sur la campagne: de grands arbres, une haie de ronciers, puis un pré où paissent deux ou trois chevaux. Au loin le Vercors d’où le soleil levant embrase le ciel.

Un soir je me couche, donc, et je pars dans ce rêve qui aujourd’hui encore me fait tressaillir.

Je suis sur la terrasse et c’est le matin. Le soleil est déjà haut. Le ciel, d’un bleu intense, semble prendre tout l’espace. Dans ce ciel immense apparaît au nord, se déplaçant vers le sud, une petite tâche blanche. Puis une autre…et encore une autre. Je commence à les voir de mieux en mieux, et il y en a de plus en plus. Le ciel s’en couvre bientôt et je les distingue clairement : ce sont de magnifiques oies blanches, d’une blancheur parfaite. Le bruit quel font dans l’air est un ravissement,le frou-frou d’un coton qui chante. Le bouton de leurs yeux noirs et leur bec d’or dans cet écrin de neige me parle de bienveillance, de douceur et de bonté. Sous ce ciel de lait, vivant, vibrant, tout est lumière. Une immense félicité m’envahit.

Soudain, un claquement sourd. Une tâche rouge dans le ciel, et une première oie qui chute. Une autre détonation. Une oie encore quitte le flot du ciel et s’abat sur le sol. Dans le pré des chasseurs tirent. Je les vois de dos. Ils tirent et tirent de nouveau vers le ciel. Le pré est bientôt couvert d’oies blanches rougies de sang, et ce sont des milliers d’elles encore qui se décrochent du ciel.

Étrangement je n’ai pas de colère. Je reste bouche bée, sans voix. Des larmes mouillent mes yeux, mais ce n’est pas vraiment de la tristesse. Je sors de mon rêve et me réveille. Je suis dans mon lit, les yeux tournés vers le plafond, et je n’ose bouger, hébété mais lucide.. J’ai le sentiment d’avoir vécu une expérience de stupeur. Un silence profond m’habite, qui a la saveur de l’espace. Un espace immense, infini et secret, que les résonances du ressenti font tinter loin au-delà des horizons.  Je goûte le ressac  de ces vagues de fond et leur onde puissante.

Je me suis toujours refusé à interpréter ce rêve. Parfois il me revient et je me laisse porter par les échos qui se remettent à chanter : l’intensité des couleurs, le blanc et le rouge qu’on retrouve si souvent dans les contes, l’épaisseur du silence, les déflagrations, la douceur de ces oies blessées et leur abandon « souriant », le sentiment que tout était bien comme ça.

Certains rêves ont ce pouvoir de devenir une ressource. Les oiseaux de Stympalle m’ont reconnecté à celui-ci.

 

 

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