« Nous étions en 1933 et tu n’avais que 32 ans quand tu as perdu la vie !! Tu ne l’as surement pas voulu. Qui aurait pu se sortir de tant de fausses couches sans mettre sa vie en danger. Pas toi en tous cas. Tu as laissé derrière toi un mari perdu sombrant dans l’ivresse, « Nono Cesare », et trois enfants, dont l’aîné était papa. Il n’était alors qu’un petit garçon de 10 ans. A-t-il pleuré quand tu es parti ? S’est-il senti abandonné ? Je ne le saurai jamais.
Par contre je me souviens qu’il était très sensible quand il s’agissait de se séparer de son frère et de ses sœurs pour rentrer en France, et cela, même s’il était adulte. Il y avait sans doute une blessure, là, précisément dans son cœur qui se ravivait à chaque fois qu’il quittait son pays. Je n’aimais pas le voir pleurer quand j’étais enfant, cela me faisait peur, ne me rassurait pas. Pour moi un papa ça pleure pas, me disais-je dans ma tête de petite fille !!
Toi papa, ce petit bonhomme qui a dû travailler à l’âge de 14 ans, à l’usine pour nourrir sa famille qui ne s’en sortait pas. Ton père était surement lui aussi meurtri pour se laisser autant sombrer dans l’alcool, et abandonner sa place de chef de famille, pour te la céder. Pour toi c’était sans doute normal, évident, culturel, mais surtout lourd d’assumer aussi jeune toute une famille. Il y en avait des bouches à nourrir. Normal que des années plus tard la politique était pour toi une religion qui se devait de défendre « la veuve et l’orphelin » !
Toi aussi papa, cette maladie dionysiaque t’a fait sombrer. Tu étais un homme triste qui aimait rire, et faire rire. Que cachais-tu derrière cette plaisanterie ?
Je l’ai compris bien plus tard ce que tu cachais. Tu n’étais plus de ce monde quand pour moi notre histoire familiale est devenue claire. Je te regardais enfin avec les yeux d’une femme, et non plus ceux d’une gamine qui avait peur de perdre l’amour de son père. Je peux voir aujourd’hui ce que cela t’a coûté. Ces blessures profondes en toi, impossible à soigner.
Ce secret de famille aussi que tu as emporté avec toi dans ta tombe parce que trop dur de parler. J’entends encore l’écho de ton silence. Une autre, une autre blessure, celle de la trahison.
Heureusement les blessures que tu portaient t’ont donné à chaque fois l’occasion de devenir un peu plus un bon être humain, mais qui n’aura pas pu aller jusqu’au pardon. C’est pour cela que ton unique fils, mon frère, t’a suivi jusqu’à l’au-delà, sans pouvoir prendre son propre destin entre ses mains.
Nous sommes tous issues de deux lignées. Alors il me faut regarder de ton côté maman. Pour trouver là aussi des blessures. Ta première blessure que tu connaitras à peine arrivée au monde. Pourquoi bébé, t’es-tu laisser mourir de faim, au point d’être rachitique, et confiée de surcroît à une nourrice qui était dépourvue de douceur avec toi ? Pourquoi ta mère n’a pas pu te nourrir ?
Puis plus tard les perpétuelles humiliations de la part de ta mère. La couleur était déjà donnée : celle qui ne réussit rien, celle qui ne comprend rien, celle qui n’arrivera à rien… Etiquette qui te poursuivra d’ailleurs, plus tard, quand tu vivras dans ta belle-famille, parce que c’est la tradition dans ton pays. Les femmes vont vivre dans la famille de leur mari. Finalement cela te paraissait plutôt bien de quitter ta famille d’origine dans laquelle tu te sentais humiliée, rejetée. Mais les blessures se répètent et il te faudra quitter ton pays avec ton mari, pour te sentir enfin à l’abri de ce qui aurait pu te faire perdre ta vitalité.
Le déracinement a été le grand thème de ta famille. Toi en France, un de tes 2 frères et ta sœur en Amérique du sud. Eux c’était pour faire fortune, parce qu’on disait à cette époque : là-bas tu n’as qu’à te baisser pour ramasser ta richesse. Toi, c’était pour te sentir libre. Seul ton deuxième frère, l’artiste peintre, restera dans son pays, près de sa mère. Est-ce pour cela, qu’il mourra jeune d’une erreur médicale ? Le déracinement était-il un moyen de survivre, une garantie de pouvoir vivre son propre destin. Moi aussi maman, comme toi, j’ai perdu un frère trop jeune pour mourir.
La mort, l’amour, le masculin, le féminin, les hommes les femmes quelle histoire ??!!
Pour conclure, je décide de tirer une carte du tarot. Celle qui sort est la XXI « Le monde » !
Alors dans toute cette histoire, où les hommes meurent et les femmes n’ont pas toujours été respectées…
Me voilà naître au monde dans une danse créative,
A ciel ouvert le soleil radieux brillera de mille feux,
Une lumière inspire le souffle bleu au cœur de la nature,
Ses rayons d’un rouge sang posent le fruit mûr dans nos mains,
Dans le désert une manne comme toute nourriture,
En réponse à tous ceux qui en ont besoin,
Plus de soif, plus de faim,
Aux femmes et hommes à venir,
Le mouvement infini se poursuit en fin. »