C’était une journée comme les autres c’était l’occupation allemande c’était le quotidien depuis quelques années
La ville n’avait jamais été aussi propre il était interdit de jeter des papiers par terre l’administration allemande
distribuait des contraventions à ceux qui ne respectaient pas cette discipline nouvelle les havrais par nature rebelles à toute autorité
ont fini par reconnaître l’utilité publique de cette attitude
C’était les tickets de rationnement la nourriture manquait les gens avaient faim
Ma grand-mère maternelle et son deuxième mari Mr Dytchi travaillaient du lundi au vendredi ma mère allait à l’école et ma tante Esther enfant du deuxième mariage de ma grand-mère maternelle passait ses journées chez la nourrice le samedi et le dimanche cette petite famille se retrouvait réunie dans une
atmosphère chaleureuse et bienveillante ma mère aimait beaucoup son beau-père
Des rumeurs inquiétantes difficiles à intégrer tant l’inconcevable échappait à l’entendement ne troublèrent pas l’amour la douceur dans ce petit appartement du 3e étage de la rue des Lilas
Et pourtant les loups seraient bientôt dans la ville leurs morsures fatales
Les gens racontaient des histoires qui venaient de très loin dans l’hiver profond de l’est européen les loups les fils barbelés personne n’y croyait vraiment
à ces histoires de loup-garou
Et pourtant dans un silence ordonné le meurtre industrialisé s’organisait montait en puissance depuis déjà quelques années
Les loups étaient bien réels leurs proies allaient subir l’indicible
Dans le début de la soirée ma mère et ma tante jouaient dans la petite salle de séjour leurs parents n’étaient pas encore rentrés du travail
Ma mère était allée chercher Esther chez la nourrice
Tout était calme les deux petites filles s’amusaient s’inventaient des royaumes merveilleux
Soudain des bruits fracassants provenant de la rue des voix fortes des portes de voitures qui claquent violement
Ma mère se précipite à la fenêtre interrogée par ce vacarme inhabituel elle voit les uniformes
Son intuition de petite fille de neuf ans lui crie à l’oreille prends ta petite sœur et va te cacher dans le grenier les loups viennent chercher Esther
Les loups ont reniflé partout ils n’ont rien trouvé
Ma grand-mère maternelle revint quelques heures plus tard de la Kommandantur par prudence quelque temps avant l’état civil d’Esther s’était francisé elle s’appelait désormais Simone
Ma grand-mère maternelle et Mr Dytchi avaient été appréhendés à leur travail
Les soldats emmenèrent Mr Dytchi avec d’autres juifs dans un camion Mr Dytchi avait de la famille en Pologne il savait des histoires insoutenables et avait insisté pour faire changer l’état civil de sa fille Esther
Mr Dytchi n’est jamais revenu
A la fin de la guerre dans l’année 1945 il y avait des listes à la mairie du Havre
Ce jour là ma grand-mère maternelle mourut son âme fendue en deux par le couperet la liste disait Mr Dytchi disparu à Auschwitz
Les circonstances de sa mort n’étaient pas définies était-il mort de faim de froid le typhus l’avait peut-être emporté la torture la chambre à gaz
Ma grand-mère vivait à présent sans vie avec son esprit et son corps son âme désintégrée par cet impraticable chemin
Elle mourut à 44 ans le ventre dévoré par un cancer à la fin de l’été 1956
Ma mère est morte il y a deux ans au Havre en 2012 Esther que je n’avais pas revu depuis trente ans était là aussi quand le cercueil avançait automatiquement
vers la crémation Esther eu une transe je ne sais pas qui s’en allait dans les flammes ma mère? Mr Dytchi le père d’Esther
A ce moment là j’ai vu des fils barbelés se changer en fils d’or
L’amour est plus fort que tout
pierre