Le petit chapeau rond rouge

Cette variation signée par Norb (également auteur de l’illustration) répond à l’invitation à jouer avec le conte en changeant les règles de départ, l’époque, etc.
Invitation à se sentir libre et à s’amuser en inventant sa version

Chaque dimanche, Alice avait pour habitude de porter à sa grand-mère une galette en vinyle sur laquelle étaient gravés les chants d’oiseaux entendus pendant la semaine. Mais ce dimanche, lorsque la jeune fille voulut imprimer son attestation de sortie, la feuille dévia légèrement de sa course réglementaire, occasionnant un bourrage papier aussi spectaculaire que définitif. Sous une pluie de confettis, attestant de mille et une raisons d’échapper au confinement (motifs impérieux pour aller visiter l’impératrice, promenade en pleine mer pour subvenir aux besoins du poisson rouge, etc.), Alice fut contrainte d’imaginer un plan B pour maintenir sa réunion dominicale.

Tel un chat, Alice attrapa sa souris – celle qui ne court pas dans l’herbe – et lança une invitation Zoom à sa grand-mère, espérant que le zoom soit suffisant pour que son ascendante, myope comme une taupe, parvienne à la déchiffrer : « Chère Mamy, ne pouvant sortir de ma chambre ce dimanche, je vous invite à un rendez-vous virtuel. Pour me retrouver, suivez ce lien de cœur à l’heure où siffle le rouge-gorge.».

En attendant les retrouvailles numériques et pour faire plaisir à sa grand-mère, Alice décida d’égayer son avatar en l’affublant d’un joli chapeau carré aux reflets d’émeraude. Mais si son ancêtre était myope, Alice était astigmate et daltonienne de surcroît. Elle dessina un chapeau rond rouge, quelle pensait parfaitement rectiligne et vert. Elle achevait son couvre-chef d’œuvre quand un vert-gorge siffla au jardin. Également daltonienne des oreilles, Alice cru que sonnait l’heure du rouge-gorge.

Connectée derrière son petit chapeau rond rouge, Alice patientait devant la forêt d’icônes qui poussaient sur le terreau fertile de son bureau. S’y bousculaient toute sorte de bestioles : des cupidons dardant des flèches de souris, des créatures abyssales des grands fonds d’écran et au centre, une poule le bec en bas, retournée les pattes en l’air par un bug d’affichage. Mais nulle grand-mère à l’horizon pixellisé. Alice colla son nez à l’écran pour mieux voir l’étrange poule, sens dessus dessous. Une poule inversée, c’est presque un loup pensa-t-elle. Une POULE qui fait COT COT, en verlan, ça donne un LOUP qui fait TOC TOC… Elle cligna des yeux sur sa réflexion et cliqua de l’index sur le volatile.

« Attention, virus ! ». Le message percuta l’écran en même temps que le nez d’Alice. L’avertissement s’accompagnait d’une double proposition : O.K. (écrit en vert, rouge pour Alice) ou K.O. (l’inverse). Prudente en matière de virus, Alice enfila son masque et se frotta le doigt au gel hydro alcoolique avant de cliquer sur la couleur la plus rassurante. Une nouvelle fenêtre s’ouvrit, révélant l’image d’une vieille aussi poilue qu’inquiétante. De toute évidence, quelque chose ne tournait pas carré. « Bonjour cher petit chapeau rond rouge » dit l’ancienne. « Grand-Mère, que vous avez de grandes oreilles ! » s’exclama Alice. « Je ne t’entends pas, ouvre ton micro », répondit la vieille. « Et comme vous avez de grands yeux ! » commenta Alice. « Je ne te vois pas, ouvre ta webcam et approche toi de l’écran» lança la grand-mère. Alice obtempéra et s’approcha aussi d’aussi près qu’elle pouvait. « Comme vous avez une grande bouche et de grandes dents ! ». « C’EST POUR MIEUX TE… ». Alice n’entendit jamais la fin de la phrase. Azad, son chat persan, venait de se prendre les pieds dans le modem, arrachant la prise dans sa cascade féline.

A peine Alice avait remis Azad sur ses pattes (Azad étant le seul chat qui ne retombe jamais sur ses pattes), qu’on frappa à la porte. TOC TOC TOC ! Polie, Alice s’empressa d’aller ouvrir là où une poule mouillée, à l’envers ou à l’endroit, aurait crié au loup. Sur son perron, sa Grand-Mère attendait tout sourire : « J’ai pensé que c’était à mon tour de venir te voir cette fois ! Et je ne regrette pas, tu as vu ? Il y a des verts-gorges qui chantent dans ton jardin ! ».

Norbert, Poitiers le 13 décembre 2020