Un chemin étroit  sillonnait une forêt dense et claire . Chaque arbre semblait  à sa place.. Au pied d’un chêne  majestueux  aux racines  entremêlées, des champignons  grèges  poussaient . La terre aux alentours était maculée de feuilles mortes, mordorées . Le chêne ancêtre se tenait fièrement à la croisée des chemins. Chaque sentier de ce carrefour attirait et déroutait.

En avançant dans ce sous bois  moyenâgeux , les feuilles au sol craquaient , les fougères vibraient et les branches bruissaient .

A un détour d’un chemin un jardin émergea sous une lumière crue . Au milieu de ce jardin du Sud gisait un bassin serti  de pierres grises et moussues où une eau verdie stagnait.

Il régnait une chaleur moite et étouffante .

Plus loin encore, un jardinet apparut avec ses rangées de légumes en gestation .Quelques feuilles vertes  apparaissaient  au sein d’une terre gorgée d’eau saupoudrée d’une paille maternante.

Enfin, des brassées de fleurs fushia mystérieuses jaillirent, telles une pluie florale. Des gerbes de myosotis et de campanules blanches et bleues se joignirent à cette avalanche de  rose.

Impression d’être emportée d’un lieu à un autre sans transition, les sens  bousculés . Voyage incongru  dans la forêt chargée d’humus et de parfum émergeant des profondeurs à la suavité des parfums anéantis par la chaleur du grand Sud où le vent est absent et la chaleur insoutenable au jardin où la poussière de la terre se mêle aux exhalaisons des fleurs printanières .

Le vieil arrosoir bleu de ce potager recèle des histoires à vous raconter. Asseyez vous confortablement dans un fauteuil crapaud de préférence et écoutez moi. A mon âge avancé je connais d’innombrables histoires de ce jardin biscornu. Ce soir j’ai l’âme badine. Je vais vous conter celle d’une jeune retraitée qui se languit  en se demandant parfois ce qu’elle pourrait accomplir des chapelets d’années qui lui restent peut être à vivre. Elle égrène des projets . Elle peut être  lumineuse, gaie comme les rouge gorges du jardin. Et parfois, sombre dans une tristesse sans fonds. Elle m’émeut et m’interroge. Depuis quelque mois j’ai observé un changement. Certes, elle ne s’occupe jamais de moi. Elle laisse cette tâche subalterne à son mari , l’apprenti jardinier[CZ1]  . Par contre, elle s’allonge avec délice au creux de sa chaise longue mandarine, cherche la meilleure  adéquation entre soleil et ombre, s’assoupit avec bonheur au soleil , lit , écrit et observe la vie du jardin, elle qui s’en moquait !  Une petite révolution s’est opérée dans son cœur. Elle s’émerveille des ribambelles de gendarmes , de l’éclosion des fleurs, admire les floraisons successives , écoute le chant des oiseaux ! Tout est nouveauté.

Moi le vieil arrosoir, elle me charme par sa naïveté. En tant qu’arrosoir, je connais mon utilité et j’en suis fier. Cependant, je n’écoute pas les médias. Aussi je peux juste affirmer que cette mutation a eu lieu mi mars  Période où je travaille beaucoup  De mon côté pas de chômage partiel .

Les mauvaises herbes scandalisées par leur appellation  crient victoire. Le nouveau jardinier s’est amouraché de la star Permaculture. L’heure de gloire des mauvaises herbes a sonné. Elles ont désormais droit de cité , plus question de les arracher.  Le temps de la cohabitation avec les légumes et les fruits comestibles est advenu.

Les gerbes de fleurs fuchsia  emplissent de joie.  Cadeau de la Déesse Allégresse,  porteur d’actions, de cœur ouvert.

Ne pas s’extasier  serait un crime d’Amour.


 [CZ1]