« L’amour, c’est… » Chacun définit ce qu’est l’amour pour lui, en tant que tel, comme idéal, comme désir de vécu, comme manque à combler.

L’amour, ce sont des moments, comme suspendus dans le temps, où quelque chose de nouveau, un émerveillement, surgissent dans la vie ordinaire quotidienne qui la rend spéciale et justement extra-ordinaire. Au cours de notre vie, ces moments nous révèlent un aspect de l’amour. Ce peut être lié à des personnes. Ce sont des aspects de ce sentiment, ou de cet état d’être. Tels des paysages ou des visages.

Disons qu’il y en aurait douze. Douze est un chiffre qui correspond à une période dans différentes cultures. C’est l’âge où la fillette a ses premières règles, le désir s’éveille, le corps change, l’esprit aussi, tout semble en chrysalide. Ce sont les étapes du chemin de croix du Christ, les apôtres ses compagnons. C’est le cycle astrologique asiatique. Ce sont les niveaux d’Eveil, de l’être ordinaire au bodhisattva, dans le bouddhisme d’origine. Le chiffre douze, c’est aussi un plus deux : un agrandissement, un déploiement, une multiplication, l’Un est multiple, multitude.

Comme il y a quatre âges dans la vie, enfance, jeunesse, maturité, vieillesse, on peut grouper les aspects par trois, par quatre âges, et cela formerait un chemin.

Protection, douceur, nourrissement… Emerveillement… Générosité (partage), ouverture d’esprit, rebelle (absolu)…. Passion… Liberté, empathie (compréhension), don de soi… Amicalité soyeuse…. Tolérance, Patience, Joie… Canal réceptif en offrande…

Mais en réalité cela ne fonctionne pas par étapes définies à l’avance qu’on suivrait comme une route nationale avec étapes fixes, pas vraiment ainsi. On peut connaître la Joie suprême, la perdre, revenir à une étape précédente, l’affiner, sauter vers une autre plus profonde. Cela ressemble parfois plus au Jeu de l’Oie… Comme un arbre, on déploie ses branches. Pour certaines choses, on a gardé dix ans, pour une autre situation on a mille ans telle une mémoire profonde qui agit à travers nous…tel paraît l’amour L’Amour échappe à toute définition. Son visage s’efface quand on cherche à le limiter dans un cadre, à lui imposer des conditions., et le paysage est un point de vue changeant au fur et à mesure de la marche sur le sentier. Mais il est toujours là

L’Amour est une expérience. Difficile d’en parler sans évoquer quelques-unes personnelles à titre d’exemples.

La rencontre de l’amoureux, celle de l’union pure, sincère, totale, telle l’osmose, dans la lumière blanche d’un premier baiser, étincelante. C’est le visage de l’émerveillement.

Un moine souriant qui offre une pilule de longue vie dans un ermitage dissimulé au coeur d’une montagne interdite, au Tibet. C’est le visage de la générosité.

Une nonne tout aussi souriante qui entraîne l’adolescente dans son atelier de peinture d’icône, qui lui révèle le secret, dans le grenier aménagé sous les toits du monastère, perdu dans la campagne du nord de la France. C’est le visage de la confiance.

…Une cascade de dix mètres qui tombe sur le sommet du crâne qui fait jaillir un chant intérieur…

Un bébé sauvé, retrouvé au milieu des immondices, à Calcutta, dans cette maison tenue par des infirmières et des religieuses chrétiennes, qu’on me met dans les bras, la tête si grande, le corps squelettique, ce bébé qui ne sait rien de son état et qui sourit comme si les femmes étaient toutes la plus belle maman du monde et on ne peut faire que cela, lui sourire aussi bien. C’est le visage du don du coeur.

C’est la main posée sur l’épaule de cet homme qui pleure son divorce, qui pleure toute sa souffrance de l’échec, de la séparation, des regrets. C’est le visage de l’écoute. Le silence.

Quand acculé au désespoir, quand plus rien n’est possible, faire un pas sur l’herbe pied nu, et d’un coup, cela se révèle « un seul pas libre », ou s’allonger sur la terre et sentir sa présence, l’infime vibration du sol, l’humide fraîcheur… ou s’appuyer contre un arbre, l’oreille contre le tronc, on entend comme une fine brise entre l’écorce et le bois, c’est le souffle de l’arbre qui respire avec le ciel. Un autre langage. Quel visage ? L’infini, la Mère, l’accueil, la liberté, la Joie ?

…L’échange…

Devant les étoiles, une oisillon, une bulle dans l’eau de la rivière, l’origine de l’homme, l’éléphant… le minuscule comme le vaste univers, l’être humain et ses formes… ce vertige quand on perçoit à travers soi les millions d’années qui me précède, une vie d’homme parmi tout ça, le temps, l’espace, et les millions d’années qui je l’espère me suivront. C’est le visage de l’ humilité.

C’est quand la jeune fille souffre d’une crise d’asthme et qu’un copain lui apporte un bol vide : « tiens ! je t’apporte un bol d’air ! » Cette fantaisie, la légèreté, l’humour, la spontanéité. L’amour est une création. Rien de fixe, ni de rigide. C’est le visage de la détente.

…Goûter le thé avec le maître de thé. Accompagner les saumons qui remontent les cascades de la rivière. Admirer l’aigle qui vole à un mètre de soi. Moucher un gamin des rues qui dit « goodbyebye »…

C’est le visage du respect, la retenue, une certaine noblesse. Quand, par exemple, on supporte la souffrance infligée par l’être aimé. Ou ne pas être ébranlé par la colère. Voir la douleur de l’autre, son contexte, le sien propre…

C’est la grâce, la beauté du geste, tout est dans la manière d’accomplir les choses, en tant que tel déjà, dans ce qu’on fait, dans l’offrande à l’autre

C’est la bienveillance, apprendre à laisser les choses intactes, ne pas interférer, ne pas s’agiter ni trop remuer les choses

… Boire le lait de la lune, et cette lumière se répand alentour, laisser être…

On désire être aimé, on apprend à aimer

Rien d’inéluctable quand on n’est pas aimé, il faut trouver d’autres espaces où faire vivre la vie

Cependant, on peut considérer les visages de l’Amour autrement, qui se présenterait comme des binômes, comme les deux versants de la montagne, les deux termes complémentaires de l’opposé, en deux dimensions à des échelles différentes :

L’Amour est Temps – moments et durée, jaillissement et vieillir ensemble

Il est Espace – l’entre-deux, alentour, dedans et hors de

Il est Bienveillance – l’accueil, l’amicalité attentionnée

Grâce – l’émerveillement, le sacré

Chant -la joie, le don

Plénitude – la présence, la conscience

Abondance -la générosité, ouverture, le fruit

Noblesse – la retenue, la discipline

Souffle – l’offrande

Mouvement – la sincérité, le renoncement

Silence – le geste, sa parole

Beauté – (sans mots)

L’Amour est regard et objet du regard, et rien de tout cela

L’Amour est d’abord un (moi), il va vers la multitude (l’autre) et se fraie un chemin vers l’Un (Soi)

L’Amour va vers une finitude qu’il transcende : il perdure après notre mort, infiniment. Il naît en nous mais provient des origines lointaines et nous dépasse en une vastitude universelle, jusqu’aux grands vents de l’Espace

L’Amour est réceptivité totale qui est en même temps offrande

L’Amour est un premier pas. Comme si le divin (la divinité, la déesse) entrait en soi et qu’on entrait en elle, et on en est transformé, transfiguré, à jamais

L’Amour est le fruit mais il est aussi la graine qui fera épanouir le fruit

L’Amour est le lieu de tous les paradoxes : l’avant et l’après, le dedans et le dehors, l’intime et le partagé,le profond et la surface, la source et l’océan qui reçoit l’estuaire, le ressenti avoué et l’exprimé silencieux…Il est ce qui sépare les deux termes du paradoxe et les englobe tous deux

L’Amour est aimer

Aimer : Sagesse, et ses trois filles, Foi, Espérance et Charité

Aimer est un secret, s’il se dit, il est saisi, et se déplace déjà ailleurs

Aimer, telle la Lumière, s’illuminent d’eux-mêmes