Contributions des "racinés",  Ecritures

Le choc du miroir

Il était une fois une belle vieille chatte rousse et ronde, nommée Néa qui passait ses journées et une bonne partie de ses nuits à sommeiller. Depuis que la terre tourne autour du soleil, les chats agissent ainsi. Quand Nea ne dormait pas, elle dévorait ses croquettes, cherchait un peu de câlins et un temps de jeux. En digne représentante de la race des félins, elle décidait quand le jeu et les caresses se finissaient. En deux mots, elle agissait en dictateur ! Et se contrefichait des humains qui subvenaient à ses besoins. Sa vie semblait assez ennuyeuse pour toute personne n’appartenant pas à cette race. Sa nature indolente contrastait avec ses moments de jeux où elle paraissait très vive. Souvent, elle se réfugiait dans ses songes. Sa vie nocturne semblait beaucoup moins monotone. Dommage, elle ne racontait pas ses rêves et ne les écrivait pas.


Le 1er janvier 2021, la vie de Néa fut métamorphosée : Elle se vit dans un miroir posé au sol ! Elle découvrit son ventre lourd qui avançait doucement empêtré par un corps flasque, son regard vide, sans étincelle de vie. Est-ce moi ? Néa eut le choc de sa vie. Ce n’était pas concevable ! Elle se sentait un bel animal gracieux, au poil soyeux, aux yeux verts en amande soulignés d’un trait noir doté d’un regard vif et expressif. Ce ne pouvait être-elle. Elle fit un pas de côté, le chat du miroir reproduisit le même geste. Secouée par cette révélation, elle mit un long moment à accepter avec tristesse le verdict. Oui elle possédait une démarche de chat d’appartement, bien nourri, au regard un peu terne, sans joie. Une apathie se dégageait d’elle. La vérité lui sautait à la gueule. Ce face à face fut trop lourd à accepter, Néa comme à son accoutumée se réfugia dans un sommeil cocon et se terra dans son fauteuil de velours vert pomme. Bien entendu, ses rêves furent agités !
Elle vécut une vie de matou errant sur les quais sombres, inquiétants et humides de Varanasi pendant deux longs jours. La chatte rousse erra la nuit en quête de pitance qu’elle devait défendre auprès de bandes de félins affamés, efflanqués et agressifs. Elle expérimenta une vie difficile. Elle échappa à la mort plusieurs fois sous les griffes de matous décharnés mais plus acharnés qu’elle à défendre leurs maigres proies. Elle revint de ces voyages nocturnes et lointains, transformée ! Elle décida ce 1er janvier de changer. Elle laissait sa peau de princesse dédaigneuse, autocentrée. Le nouveau miroir argenté posé au sol fut le déclic attendu. Sa vie aurait désormais du sens, du cœur. Elle souhaita devenir authentique. Nea qui jusque-là avait refusé de méditer avec sa maitresse sous prétexte qu’elle perdait son temps, ronronnait en cadence avec elle le temps de la méditation matinale. Un apaisement et une conscience élargie du monde s’introduisit en elle. Elle avait cessé d’être exigeante sur sa nourriture, consciente de son immense chance d’avoir un logis chaud, une maitresse aimante, de la nourriture à gogo.
De même, elle se laissa câliner sans manifester de tension. Les désirs de sa maitresse passaient avant les siens et elle en recevait de la joie. Son égoïsme s’était évanoui, son cœur agrandi, son rôle de princesse envolé, sa sincérité tangible. Ses pensées se dirigeaient vers ses compatriotes démunis. La belle rousse aux yeux verts passait des chapelets d’heures à contempler et à observer par la fenêtre, la vie des matous de rue. Elle s’attrista de leur agressivité, de leurs peurs, de leur solitude et se réjouit de leurs moments de joie. Au cours de ces temps méditatifs des pensées bienfaisantes émergèrent et scellèrent le début de sa nouvelle vie d’enseignante spirituelle.


Dans ses rêves les plus audacieux, Nea retrouvait la nuit, les chats errants de sa ville et les aidait à trouver quelques victuailles. Malheureusement, la chatte rousse n’était pas habituée à se bagarrer, à grimper dans les poubelles ou sur les toits. Elle ne connaissait pas les dures lois de la rue. Son utilité n’était pas flagrante ! Son désir sincère d’aider les plus démunis, ne prendrait pas la forme de l’action directe ! La transformation de Nea avait dépassé les murs de l’immeuble Picasso, à Nanterre. Les félins des Hauts de Seine savaient qu’un maitre Chat vivait désormais dans cette banlieue. Le jardin de la maitresse de Nea était peuplé de matous qui souhaitaient entendre les enseignements de la belle rousse. Elle se pliait à cette aura de Sage Chat ou Dechen (son nom d’enseignante) car elle les savait avides de paroles vraies. Tous ceux qui étaient là, souhaitaient quitter leur égoïsme, ouvrir leur cœur, tendre vers plus d’authenticité, lâcher leurs peurs inutiles, créer une solidarité entre félins qui dépasseraient leur histoire personnelle. Sous l’influence de Dechen , au cours de cette année historique, ce peuple animal évoluerait vers plus de chatitude . Un mouvement était en marche, une partie des chats d’Ile de France s’ouvrait aux malheurs de leur congénères, un réel désir d’entraide émergeait. Dechen n’en tira pas de fierté particulière. Elle se sentait utile, à sa place, heureuse d’œuvrer pour le bien de tous.
Son souhait pour 2021 se réalisait.

Catherine, février 2021

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