Entraîner l’esprit du coeur
Cet article est extrait du livret « Entraîner l’esprit du cœur – Donner et recevoir » accompagnant la session éponyme des fondamentaux de la psychologie bouddhiste. Ce livret est disponible en fin d’article pour les abonnés au réseau.
Dépasser toutes les formes de limitations
Entraîner l’esprit du cœur fait référence, dans la pratique, à l’entraînement de l’esprit altruiste, en lien avec la compréhension de la vraie nature de ce qui est, c’est-à-dire l’expérience de la vacuité.
Cette expérience n’est pas l’indifférence ou un concept abstrait mais l’expérience de se laisser traverser par ce qu’habituellement nous solidifions. C’est la capacité de lâcher le référentiel limitant de soi et autre et de tous les a priori qui vont avec.
Cet enseignement est l’aboutissement des sept week-end des fondamentaux de la psychologie bouddhiste car il rassemble en son cœur tout ce qui précède et nous invite à l’expérimenter par nous même dans les petits riens de la vie quotidienne.
Pas d’autre voie que les petits pas du quotidien signifie que c’est au jour le jour que nous allons prendre conscience de comment intégrer, mettre en pratique librement, là où nous sommes, dans toutes nos activités, l’esprit du cœur. Cela même est le dépassement de la dualité pratique/vie quotidienne. Tout devient pratique. La vie quotidienne est l’expression d’un chemin d’intégration. Aussi bien intégrer des moments de méditation assise que dans le travail ou la vie relationnelle avoir le rappel de l’attitude juste, en situation.
Change ton attitude sur place est une des maximes ou devises de lodjong (l’entraînement de l’esprit) qui en un claquement de doigt nous fait passer de l’égocentrisme à l’allocentrisme.
Est-ce aussi simple ? Oui si nous le mettons en pratique, alors cela devient une réalité tout-à-fait accessible, cela devient réel.
Si nous dépassons la dualité vie quotidienne/pratique, alors il n’y a plus de justifications du genre : « je n’ai pas le temps de pratiquer », « je n’ai pas les bonnes conditions de pratiquer » etc.
Car à tout moment, dans la vie diurne ou nocturne, notre esprit est lié au cœur de la pratique qui est la nature même de ce que nous sommes.
Ne pas attendre l’éveil
La voie de l’intégration est la voie ouverte des bodhisattvas, le Mahayana est la vaillance de mettre en pratique tout de suite, sans même attendre l’éveil.
Nous dépassons la prison de l’ego lorsque nous franchissons la porte et mourons à celui-ci, pour aller vers les autres, avec le souci de leur bonheur, de leur intérêt.
Lorsque nous entrons sur la voie, et souvent longtemps encore, même si nous avons entendu et pratiqué des enseignements du mahayana, notre motivation reste étroite.
Nous souhaitons nous libérer de nos souffrances, nous, d’abord. C’est le sens du hinayana, la voie étroite au sens où la motivation de base est cette prise de conscience que nous voulons nous en sortir. Cela n’a rien de péjoratif de nommer cela « étroit » car c’est la base en même temps qui nous permet de suivre une discipline qui, de fait sera utile aussi aux autres. En effet si nous devenons plus attentif, plus paisible, etc. nous aurons une influence inspirante sur autrui. Les expériences ne sont pas cloisonnées. Un pratiquant du hinayana développe lui aussi l’amour et la compassion sans s’y entraîner particulièrement.
Mais très vite nous nous apercevrons, par les enseignements eux-même, et par notre propre expérience de méditation, que tout nous invite à nous élargir, à nous ouvrir, à ne pas rester dans le territoire circonscrit et confortable d’un éveil personnel.
Dans le mahayana, l’accent est mis sur cette ouverture où la vacuité nous mène directement à redécouvrir le monde dans la plénitude de ses formes et à travailler avec celles-ci.
La forme est vide, le vide est forme. L’inséparabilité des deux change notre regard, le centre se déplace, de l’ego au non ego.
Nous avons souvent entendu beaucoup d’enseignements, les réaliser est l’axe autour duquel nous devons rassembler notre énergie aujourd’hui.
Le lien entre l’esprit et le cœur vient de la synergie des souhaits et de la force de la motivation.
Au long des années, la motivation se précise, s’affine, d’abord centrée sur nos propres souffrances, elle réalise ensuite la souffrance de tous les êtres jusqu’à vouloir les soulager tous, sans distinguer ceux-ci de ceux-là.
Un cœur en action, nourri de confiance
La motivation et le cœur se nourrissent de gratitude, de reconnaissance, de souhaits, de prières, de mots mantras qui font percevoir la dynamique donner-recevoir de la vie elle -même.
Nous avons reçu le précieux don de la vie, qu’allons faire de ce cadeau qui est aussi une dette ? La meilleure façon d’en faire quelque chose est de le prendre ce cadeau, le prendre vraiment, d’en vivre les potentialités, de se réconcilier avec ce que nous ne voulons pas, d’accepter notre destin. C’est un long chemin de vie et d’esprit où le cœur est la boussole qui nous aide à aller de l’avant. Nous lâchons l’assurance d’être à la hauteur, nous prenons le risque de notre ouverture, de notre confiance en ce qui est.
Traditionnellement on décrit trois sortes de motivation : celle du roi, qui souhaite d’abord réaliser l’éveil puis aider les autres, celle du passeur qui, dans sa barque, fait traverser tous les êtres, tous ensemble s’éveiller et enfin la motivation du berger qui fait passer son troupeau avant lui. La motivation du roi est la plus inférieure, celle du berger la plus haute car la plus détachée et la plus directe. Il n’y a même plus le souci de s’éveiller ou de garder quelque chose pour soi. C’est aussi, en fin de compte, la plus naturelle et la plus réaliste.
Cette motivation se développe naturellement avec la compréhension juste de la vacuité et de la gratitude, de l’amour et de la compassion.
Ce qui semblait au départ évident du point de vue de l’ego, d’abord avoir acquis quelque chose avant de le redonner s’inverse ensuite. Ce qui, au départ, nous motivait pour nous transformer et nous discipliner devient à un moment un obstacle.
La discipline du bodhisattva est de faire passer l’autre avant soi, le faisant tous les problèmes sont résolus. Bien sûr il peut y avoir doute ou découragement, mais au final revenir à la motivation et en reprendre le vœu est la seule chose sensée à faire.
Parler des différents véhicules sur la voie n’est pas faire des distinctions scolaires entre petit et grand. Cela décrit d’une part les affinités que nous pouvons avoir. Il peut être long pour certaines personnes d’entrer dans le mahayana ou le vajrayana. En même temps tous les véhicules mènent au même but. Certains sont plus rapides que d’autres et donc demandent plus d’habileté, d’énergie et d’accompagnement.
Hinayana, mahayana et vajrayana sont ici pris dans leur complémentarité, du point de vue de la motivation qui, dans une vie même, se transforme, nous pouvons parler de l’unité des trois comme d’un véhicule unique, ekayana, et universel.
Etre riche de ses dons
à l’horizon du cœur
se profile une perle de vacuité indestructible
dont la plénitude mouvante donne et reçoit plus que soi