Il était une fois un jardin d’étoiles en plein jour. Il y avait tant de lumière que l’on voyait à peine danser les petits filaments vivants et radieux qui avaient fait disparaître totalement la nuit.

Ces petits êtres de lumière étaient les guides pour parcourir les différentes aires de cet espace solaire, à la douceur d’été.
Une fois la vue accoutumée à tant de luminosité, on commençait à distinguer à quoi ce jardin ressemblait. A rien d’autre qu’à lui-même. Il avait un corps aux fleurs de chair gourmandes, épicées et odorantes, et les parfums mêlaient leurs notes de tête, de rêve et de coeur sauvage de manière toute aussi enivrante que surprenante.
Des bouquets d’effluves uniques vous enveloppaient qui vous transportaient dans des îles paradisiaques, dans des époques lointaines, dans des mémoires ravivées où l’on percevait des scènes par bribes.
Là une pyramide en train de s’édifier – là une valse à la cour de Vienne – là un soldat un trou rouge au côté gauche couché dans les coquelicots qui toujours saignent au rappel de tous les morts fauchés en pleine jeunesse.

coquelicot
qui tacle les champs d’un rouge
intense
si humble et si nu
que l’aura d’un
merci s’en détache

pour aller libre et loin
guérir les liens entre les morts et
les morts j’honore qu’un jour
tu sois apparu

Monter à bord d’une odeur était le meilleur moyen de retourner dans n’importe quelle époque, n’importe quel souvenir. Il y avait là un kiosque avec des fioles tenu par Mademoiselle Libellule, la rêveuse en tulle bleue, qui donnait des explications sur toutes ces essences et leur destination.
Une foule hétéroclite faisait la queue devant cette attraction: il y avait des loups éclopés, des coccinelles en mal de leur jumelle perdue, des pigeons facteurs aux lettres égarées, des hérissons trognons sans leur biberon, des pâquerettes en folie, des familles entières de petits vermisseaux décomposés, ceux là même que mangent les oiseaux, bref tout un florilège de malheurs.
Soudain, une grande pluie se déclencha. Qu’est-ce que c’est ? Demandai-je à voix haute.
Ce sont les larmes de Mère Jardine répondit l’arbre voisin.
C’est qu’ici il y a eu quelqu’un qui a ressenti très précisément la douleur de tous, et a ouvert la porte des larmes. Ce serait pas vous par hasard ? Alors la Mère Jardine a envoyé Féconde, sa messagère de ressources, sa pourvoyeuse d’humidité. C’est toujours comme ça que ça se passe et que ça finit par recommencer, une bonne rincée des gouttières. C’est totalement imprévisible.
Et comment s’arrête ce déluge? Lorsque le coeur est suffisamment arrosé il déborde et la joie revient habiter le champs des possibles et tous s’en sentent mieux. Les oiseaux chantent et l’instant reprend ses droits. La pluie aussi n’est que lumière…

Rincée de la tête aux pieds, je me séchais sous le vent tiède en continuant à marcher et à m’émerveiller.

Dans ce jardin les papillons sont des papilles en quête de nouvelles saveurs qui vont ça et là récolter le souffle de la beauté et le déposer sous les ponts protecteurs qui font passer d’un état de conscience à un autre. Pour que ce travail s’effectue correctement, il faut savoir se taire chuuuutttt ! et avoir le courage de traverser la plage caillouteuse des sautes d’humeur.
Les sautes d’humeur sont de mignons petits galets qui vous sautent à la figure et peuvent faire mal à vous et aux autres car ils ne maîtrisent ni la distance de leur saut ni l’impact de leur atterrissage.
Ils peuvent vraiment vous gâcher la journée.
Heureusement si vous savez faire peur à la peur alors les petits galets vont se polir entre eux, ils iront sagement dormir en rond sous la paille de vos doigts.
Le mieux est de se recouvrir le corps de pétales de rose ainsi ils ne vous percutent pas me confie le forgeron du jardin qui ne cesse de forger des épées de sagesse pour celles et ceux qui arrivent jusqu’à lui. Des épées comme de grands lys qui donnent à la majesté des ombres leur rectitude et leur vigilance invincible. Comment l’ombre pourrait-elle être dans ce jardin de lumière ?
L’orfèvre des lieux me confia ce que beaucoup ignorait, que l’ombre était une manifestation de la lumière qui prenait forme ainsi lorsque rien d’autre n’était possible. C’était d’ailleurs souvent son déguisement préféré. L’ombre n’est que la face cachée et invisible aux yeux ordinaires de la lumière.

Je saluais et repris ma route, intriguée, les bruits de la forge céleste battant la chamade longtemps derrière moi.

Je traversais une verte prairie.

Dans les hautes herbes et les blés ondoyants je trouvais un petit carnet de chanvre. Je l’ouvris et lus :

quinte de toux sous rosier – nécrose ou overdose – se carapater sous les épines

plus loin :

pas de quartier – pouah asperge ou pied – rester accrocher coûte que goutte

et encore  plus loin:

faudrait pas confondre composteur et imposteur l’ami !

vite se cacher v’la tonte qui pond

c’est fini presque tous sont tombés par l’ail aie aie aie empoisonnés

mais qui parle ainsi? Je cherche des indices à ce qui semble être un journal d’ailleurs bien arrosé de tâches minuscules et là mais oui il y a une empreinte, c’est un puceron et même une colonie qui manifestement, si on lit entre les pois, a dû déménager d’un rosier. Pas facile d’avoir le mauvais rôle ! Parfois dans la vie on cherche à vous éliminer comme les vilains pucerons d’un rosier. Allez ne pas s’attarder aux petites aigrettes vinaigrettes des aigreurs, si vous ne voulez pas périr aspergé d’ail par la main d’un jardinier avisé.

A peine l’ouvrage reposé, des fourmis s’empressent d’emporter le petit rectangle chanvré comme un précieux testament à ne pas laisser traîner entre toutes les mains.

Plus loin, il y a une jolie mare avec des grenouilles athlétiques qui s’exercent à des haïkus très simples, très vifs et très sonores/ Plouf ! Plouf ! Plouf et Replouf, fois trois, fois six, fois neuf, que du neuf aujourd’hui mes habits !
Comme c’est charmant et paisible toute cette vie aquatique et sonore.

Ailleurs il y a ce bel étang avec des carpes oranges et ondulantes qui hypnotisent le regard. Je reste un peu à médicarper en leur compagnie pendant que des hélènements se déroulent hors de ma présence, en médiumnité salutaire.

Il n’y a plus qu’à remercier et poursuivre sa quête.

Près d’un arrosoir vit un vieux pommier qui a toujours soif mais ne boit pas. Il a décidé de devenir ermite et de veiller sur les jeunes recrues débauchées du lieu, genre lézards à tête de pastèques, les mauvais gars durs de la feuille qui n’arrêtent pas d’agresser avec des géckoraison ou géckopasraison ? Géckotoujoursraison ! Un œil qui part à droite – un œil qui roule à gauche difficile de suivre…

Ce sont des agressifs dit la chenille vaut mieux les ignorer. Ils cherchent des noises et ça fait des ardoises après on s’en sort plus venez donc par ici voir mes beaux choux cailloux genoux hiboux alors vous en dites quoi ?

j’en dit que ça a l’air bon madame vu qu’ils sont bien dodus et à moitié dévorés

oui ce sont des choux magiques ils repoussent d’eux-même il suffit de leur dire je t’aime ce n’est pas chou ça ?

Si si c’est très chou madame madame ?

Madame chourosse – oui chou vous avez compris pourquoi et rosse parce que j’y veille à mes petits

dodus vitaminés je les protège des intrus que je rosse quand il le faut à l’aide de ma marraine la fée Carabosse qui bosse énormément pour la communauté caillou hibou genou et chou. Elle habite sous la brouette démantelée mais enchantée sise là bas juste après ici vous voyez ?

elle se tortille comme une hawaïenne au son d’un invisible banjo dans la direction indiquée.
Une fée dans son voisinage c’est toujours utile n’est-ce pas, d’ailleurs j’aimerais l’interroger.
Sur ces mots, je partis en saluant chouchou la chenille un peu rosse.

Je trouvais la fée qui piquait un roupillon sous la brouette bien à l’abri des importuns.
Je toquais.
C’est pour quoi ? sursauta-t-elle

Madame la Fée j’ai besoin de vous

Ah mais ils disent tous ça vous savez

oui mais moi j’ai vraiment besoin de vous
C’est à quel sujet ?
Eh bien je ne sais plus où j’habite à vrai dire

Qu’est-ce que tu me chantes là ! Tes pieds sont bien sur terre et ta tête sur tes épaules ?
Euh oui
Eh bien voilà tu sais où tu habites la voilà ta réponse
Euh oui mais ça je le savais déjà
Oui mais tu l’avais oublié non ?

C’est-à-dire que j’aurais aimé avoir plus de précisions 
Ah mais ils disent tous ça et c’est plus cher mon blouson qu’est-ce que tu proposes en salive échangée?

Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?
Tu sais parler aux fées toi eh bien je veux une baguette magique la mienne est cassée j’en veux une avec un zeste de dragon et une veine de licorne bien apparente ainsi qu’ un œil d’aigle gravé en guise d’étoile au bout
Ah mais je vais trouver ça où?

Sers toi de tes pouvoirs
Mais je n’en n’ai pas
Ah ils disent tous ça ! Si t’as rien d’autre à dire je me recouche

D’accord je vais aller chercher votre baguette magique dites moi juste par où aller
Sors ta boussole lance la en l’air et du côté où elle ne retombera pas ce sera là où tu iras c’est certain !

La boussole monte monte dans les airs et ne redescend pas. Elles reste prise dans la lumière.

j’entends : allez allez circulez ne restez pas là comme ça à bloquer tous les passages. Je me retourne, c’est un arrosoir géant qui utilise sa trompe à trous comme un haut parleur– derrière lui des pâquerettes et des marguerites se fendent la pêche d’un rire sarcastique.

Vous vous moquez mais c’est pas drôle j’ai perdu ma boussole

où ça ?demandent-elles en choeur
je l’ai lancée et elle n’est jamais retombée

et pourquoi retomberait-elle demande l’arrosoir sur un ton fringant et amusé
ici rien ne retombe mon ami tout s’élève – il n’y a qu’une solution pour retrouver les objets perdus c’est monter plus haut donc descendre plus bas
allez dépêchez-vous vous allez rater le dernier limaçon pour la grotte des épistoles.
je ne réfléchissais pas, je courais vite et ouf j’attrapais le dernier limaçon.

Le chauffeur me conseilla de descendre au terminus. J’arrivais au lieu dit des plumes qui écrivent toutes seules.
C’était un endroit magique où des oiseaux avaient offert leurs plumes pour aider les êtres à retrouver le chemin de leurs ailes et les déployer. Tout y était magnifique. Des plumes de paon, de pigeon, de flamand rose, des plus petits aux plus grands des volatiles, toutes les espèces y étaient représentées.

Les oiseaux étaient venus ici, et parfois de très très loin pour déposer leur offrande. Ils avaient fait la promesse d’être les messagers de l’invisible, de ses forces et de ne jamais laissé tomber aucun être. Et ce rituel durait depuis des temps sans commencement.
Dans ce lieu on se sentait pousser des zèles, on se vivait léger, céleste, inspiré.

Parler d’oiseaux invitait naturellement à lever le regard et là on voyait la ronde des planètes tournant sur elle-même avec d’autres, comme une assemblée de sages chantant une délicate et puissante mélopée qui emplissait de sérénité tous les pores de la peau qui devenaient alors portes.
J’en choisissais une, une fois franchie j’y trouvais par terre la baguette de la fée. Je lui offris. J’en choisis une autre, à peine entrée, un ange à la coiffe fleurie et souriant me rendit ma boussole. Je remerciais. J’en choisis encore une autre, un scarabée me chuchota à l’oreille que la réponse à mes questions allait venir bientôt de la manière la plus inattendue qui soit. Je m’inclinais. Il fallait juste garder les pieds sur terre et le coeur relié à tous les réseaux d’étoiles qui veillaient là sur les âmes en désir de liaison renouvelée.
Et alors la magie de nouveaux possibles opérerait comme elle l’avait toujours fée, tranquillement, naturellement, sur le pas de la porte entrouverte, une fois la plénitude reconnectée, et l’attente dissipée.