L’heure bleue

Quand les formes émergent de la nuit et tout prend du volume, c’est le chant des oiseaux, toutes ces trilles

Puis d’un coup le jour est là le ciel est blanc, le soleil va poindre à l’horizon

Quelques nuages s’effilent éclairés par dessous se soulignent d’un trait rose, très vite ils deviennent transparents

Tout se nimbe de lueur orangée dans la maison les murs reflètent cette lumière

Cela dure quelques instants

Et tout prend le reflet l’ombre des choses du dehors, arbre ou architecture

Dans l’herbe tout est humide, la rosée habille les herbes et les pétales

Cinq heures du matin, j’ai l’âme joyeuse des commencements

A sept heures, sur les murs se dessinent es angles inédits, des colonnes hachurées de lumières orangées

Il règne un grand calme ce silence particulier qui s’éveille d’un autre silence, celui de la nuit

Quand de l’autre côté de la terre les gens entrent dans la nuit et s’ensommeillent

Tout est double sur terre

Deux pans de la montagne, deux pages d’une feuille de papier, le buste et le dos du corps, dehors et dedans de la maison, terre et ciel, eau et terre, air et feu, le problème et sa solution, la surface de la terre et son centre

Moi je regarde : le reflet sur le mur, le soleil, le mur, moi, ou tout cela à la fois… mon œil, mon regard, ma conscience du regard et de tout… « moi » « mon », est-ce vraiment ainsi ? Oui et non !

Neuf heures, déjà le trafic a repris sur cette route de village vers la ville, l’activité viticole est bruyante parfois

Déjà le bleu m’a délaissée, je dois me le remémorer, retourner dans son espace, sa mémoire, pour qu’il m’accompagne, car le Blanc a pris le dessus

Quand je marche je pose les pieds ressentant le picotement, les énergies, qui montent du sol et tournent en rond dans la grotte intérieure gonflant le coussinet autour du ventre

A quoi servent nos gestes et nos mouvements, nos retraits et nos silences ?

Pourquoi suis-je sur terre, à ne rien réussir, seule et ignorante…

A peine le temps d’écrire, la colonne s’amenuise, se délace sur l’autre mur

D’autre surfaces s’éclairent de la forme de la fenêtre, la lumière cette fois est claire, c’est bien le soleil qui se pointe, ce n’est plus une lueur mais une lumière qui est née

Les ombres déjà s’allongent

Par la fenêtre je vois le jardin

Ce friselis qui effleure la surface des fleurs, le contour des feuilles sur les branches du pommier 

la finesse des graminées

Tout est léger les passereaux s’affairent flèches à tire ‘ailes d’un bout à l’autre de la fenêtre le cadre de ma grotte actuelle

Et sur les murs les reflets pétillent j’ai tout oublié des soucis et de la nuit blanche cette difficulté à m’endormir et le réveil à deux heures de la nuit

Blanc sur blanc dans la maison

Tout est

Dans le jardin les ombres s’allongent sur le sol s’illuminent

La lumière émane d’elle-même

On ne peut rien commander

C’est un état d’éveil qui mène à l’Eveil et l’amène

Huit heures trente, tout est rès éclairé déjà lumineux les ombres sont nettes bien tranchées tout est à l’Est c’est le soleil sa journée commence

Avec les bruits d’activité humaine, bagnole, machine viticole, cela me désole, il y a trente ans, à mon arrivée le silence était maître et les travaux paisibles, aujourd’hui ils sont affairés, c’est rapide, il faut du rendement, de l’efficacité, les clients exigent

Neuf heures trente, déjà le flou meuble l’esprit

Une lumière blanche ruisselle sur le mur blanc

Dans le jeu de lumière-ombre sur le mur à côté de la porte d’entrée

Le reflet semble un totem de trois formes oblongues superposées

Telles des alvéoles, striées de quelques lignes horizontales à peine marquées sur le mur

et des pétillements de points tout le long de part et d’autre

C’est le goût du miel

Et cette lumière réveille mon flou

Le miel la sculpture en ombre

Je garde l’image en moi déjà elle m’anime souvenir quand le moment même s’est évanoui 

L’ombre a bougé j’ai changé de pièce par la fenêtre l’acacia brille dans le soleil du matin à contre-jour

C’est un conte intemporel

Sur les parois de la grotte de Lascaux, des hommes ont peint de leurs doigts, ou avec du charbon, ou des tiges remplies de suc végétal, ont dessiné ce qui les touche, ont été touchés de ce qu’ils peignaient. Il n’y avait pas de différence, pas de jeu de réel et reflets, tout était Cela, Réalité

La représentation d’un être vivant, est-ce réalité ou image ? Si on la nomme…

Midi. La couleur est écrasée par le soleil qui tombe à pic du haut du ciel

Le vert du jardin a envahi le paysage de mes yeux, je retrouve dansantes les feuilles et leurs formes à la surface du tapis plain de la chambre où j’écris, dans les reliefs

Et je découvre les nuances, les ombres ne sont pas noires, c’est évident, ni foncées, ce sont des nuances de teintes, des éclairages, des angles…

Tout est si complexe !

Et ce principe est simplissime !

Pourquoi s’en faire ?
Pourquoi vouloir tout changer sans cesse ?

Un arbre ne peut être autrement que l’arbre qu’il est, il ne peut dépasser ce qui était déjà dans la graine, mais la graine n’est pas l’arbre et l’arbre n’est plus la graine

De même l’homme, dans cette vie… en lui tout un passé, une naissance, mais il n’est plus cet enfant, l’enfant était graine d’homme mais pas encore l’homme tout entier tel qu’il est devenu

Où est la frontière, la bascule d’un aspect à l’autre ? Impalpable…

Une aura bleu pâle entoure chaque chose, chaque arbre, même dans le ciel forme un dôme, qui devient d’une blancheur étincelante. Si je ferme les yeux, tout est rouge, très nettement dessiné. C’est si vif que je garde les yeux fermés, je savoure la vision. Tout-à-coup je me vois en distance entrain de commenter, je me reconcentre sur ce que je fais

Le soir, les pierres ont accumulé la chaleur du soleil et la restitue. Les rayons pénètrent l’autre côté de la maison, plus bas, ils rasent le sol. La lumière n’est plus bleue, ni blanche, elle rejoint celle du matin mais plus dense, pleine de la maturité des choses, de leur énergie avivée, de leur temps déployé

Plénitude d’une journée accomplie, dans la simplicité et un certain recueillement

Ce n’est plus le concert des oiseaux du matin mais le merle seul enchante le soir, toutes les nuances du chant

C’est le délice du blanc des nuages, d’un bleu de Sèvres mêlé de bleu de Prusse, les trois étages du ciel qui le creusent en profondeur vers l’infini

Le soir, la lueur éclaire le bas des pièces et le haut est plus sombre. Tout semble neutre, pas terne, mais éteint

Bonne nuit ! Le bleu est absorbé dans une superbe nuit étoilée mais il demeure

Le soleil est toujours derrière les nuages, toujours d’un côté de la Terre, qui tourne

Telle, je suis dans mon bleu si vif le vitrail en mon cœur